Au vu des nombreuses réactions au blogule précédent "Israël ouvertement sur la voie du fascisme" (sur blogules en V.O. : "Israel openly embraces fascism"), quelques rappels semblent s'imposer, en particulier à l'attention des lecteurs peu familiers avec mes billets d'humeur.
Je vais tenter de les regrouper sous forme de macro questions-réponses mais auparavant, cette précision importante :
Je persiste et signe :
- Je persiste. Je maintiens ce que j'ai écrit : mon objectif est d'interpeler la majorité des modérés Israéliens pour qu'elle se réveille et se désolidarise de ses dirigeants, que je considère comme fascistes, ainsi que des minorités extrémistes dangereuses pour leur avenir comme celui du monde. Les Etats-Unis y sont parvenus en 2008 et je ne désespère pas de voir Israël en faire de même. Rien de neuf sous le soleil : j'avais émis la même accusation de fascisme envers l'administration Bush-Cheney avant les élections de 2004 ("Let's face it they're fascists"), et sérieusement préparé le terrain en comparant Israel 2009 et USA 2004 avant les élections de février dernier ("Come Feb. 10th, Will Israel Embrace History Or Vote Bush-Cheney 2004 ?").
- Je signe. Comme toujours, de mon vrai nom. Sans me réfugier derrière un pseudo ni un nom de plume. J'assume mes opinions en toute transparence et en toute indépendance. Leur formulation laisse souvent à désirer, et il m'arrive de heurter des sensibilités comme de pondre des inepties, mais jamais de vouloir de mal à quelqu'un. Lorsque je veux voir quelqu'un croupir en prison, c'est avant tout parce que je tiens à ce que justice soit faite.
Je ne reprends donc pas la plume pour me défendre mais pour enfoncer le clou.
Q: LES TERMES EMPLOYES NE SONT-ILS PAS EXCESSIFS ? LES ISRAELIENS NE SONT TOUT DE MEME PAS DES NAZIS !
- Avant tout je parle de fascisme et non de nazisme. En m'appuyant sur les éléments constitutifs du fascisme tel que définis par Bénito Mussolini lui-même (j'y reviens par la suite). Les Israéliens ne sont évidemment pas des Nazis, et il n'est nullement question ici de revenir sur la page la plus sombre de l'humanité.
- Deuxièmement je critique la politique des dirigeants d'Israël. Ni le pays, ni son peuple... à part peut-être pour son apathie devant les dérapages de ses gouvernants. J'ai également publié cette tribune sous le titre plus pointu "Les citoyens Israéliens souhaitent-ils réellement être dirigés par des fascistes ?"
- Troisièmement, le caractère "excessif" est assumé et c'est tout le sens du préambule du blogule en question : devant les excès commis, vient un moment où l'on est obligé d'employer des termes forts. Mon registre de vocabulaire n'est pas innocent : l'objectif n'est pas de jeter de l'huile sur le feu mais de réveiller la majorité silencieuse israélienne, qui en a en moins autant besoin que les Americains il y a quelques années. En 2003, j'ai compris une chose : défendre les modérés n'est pas incompatible avec un discours fort, bien au contraire. En particulier au moment où les extrêmes des camps opposés trustent les antennes, il est urgent de réveiller les modérés en exposant en pleine lumière les impostures dont ils sont victimes. Moderation ne veut pas dire neutralité : quand des extrémistes mettent en danger l'ensemble de la communauté, il ne faut pas les laisser gagner la moindre parcelle de terrain (à ce titre, je souhaite qu'on en finisse avec l'imposture fondamentaliste qui hélas menace tout autant les Chrétiens, les Juifs et les Musulmans). Le modéré a le devoir d'ouvrir sa gueule, ne serait-ce que pour clamer "ce n'est pas le locataire du sixième qui est anti-fasciste, c'est le fascisme qui est anti-locataire du sixième". Ce n'est pas la critique du fascisme qu'il convient de rejeter vigoureusement, mais le fascisme lui-même.
- Quatrièmement, ce registre est employé par d'autres, et pas seulement en Iran ou en Palestine. Ce débat existe en Israël même, et aux preuves de crimes de guerre d'Amnesty International s'ajoutent maintenant des accusations d'apartheid en provenance d'Afrique du Sud : l'ancien ministre Ronnie Kasrils, le Media Review Network, la Palestine Solidarity Alliance, et le Human Sciences Research Council souhaitent voir 70 Israéliens traduits en justice pour ce motif ("Kasrils wants 'war criminals' prosecuted").
Q: AU FOND, VOUS NE SERIEZ PAS UN PEU ANTI-SEMITE OU BEAUCOUP ANTI-ISRAEL ?
- C'est parce que j'aime les Etats-Unis que j'ai critiqué le gouvernement qui voulait leur perte. De même, c'est parce que j'aime Israël que je demande aujourd'hui à ceux qui l'aiment vraiment de le sauver en refusant les dérives fascisantes de ses pires ennemis : ses propres dirigeants. J'ai été qualifié d'anti-américanisme primaire en 2004, je ne suis pas surpris de recevoir ce genre d'insultes déplacées aujourd'hui. Depuis plus de 6 ans que je tiens ce misérable blog, je renvoie dos a dos les extrêmes de tous bords, qui sont plus souvent partenaires qu'adversaires les uns des autres. Et si je me fais traîter alternativement d'anti-américain et d'agent de Washington, de sionniste et d'islamiste par des personnes qui ont tendance à voir le monde en noir et blanc, cela ne m'empeche pas d'avoir des amis juifs et musulmans, Israéliens, Iraniens ou Pakistanais.
- Mes lecteurs réguliers le savent, je lutte régulièrement sur la toile contre des racistes, des antisémistes, et des révisionnistes mettant plus ou moins ouvertement en doute l'Holocauste. Mon argument se résume généralement à ceci : le racisme comme l'antisémitisme sont non seulement une abomination mais une négation de sa propre humanité... Si vous êtes raciste ou antisémite, c'est souvent que vous avez un problème avec votre propre identité.
- Je ne crois pas être raciste : à mes yeux, tous les humains appartiennent par définition à la même race, d'origine africaine : les humains. Chaque voyage me conforte dans le respect de la diversité et des échanges qui font la richesse et la beauté de notre planète, et je me réjouis d'apprendre chaque jour dans un climat résolument multiculturel.
- J'ai par nature un a priori positif pour tout le monde, et je m'efforce d'éviter les amalgames entre une nation, ses habitants, et ses dirigeants. J'adore le Japon, la Chine, la France, l'Iran, le Pakistan ou la Corée du Nord comme du Sud, mais cela ne m'empêche pas de réagir si quelque chose me fait... réagir. J'estime qu'Israël est aujourd'hui dirigé par des fascistes, je sais que les citoyens Israeliens ne sont pas fascistes, et j'attends d'eux qu'ils le fassent savoir. C'était le sens de mon billet.
- Je ne crois pas être antisémite. J'assume mon héritage culturel judéo-chrétien au même titre que toutes les autres composantes de mon être. Je visite une synagogue avec le même respect que je visite une église, un temple ou une mosquée. J'ai le même respect pour toutes les religions (les déviances fondamentalistes relevant de politique et non de religion), et si la religion n'entre en aucune manière dans mes critères d'affinités relationnelles, il se trouve que je suis lié par le sang comme par l'amitié à des juifs de tous horizons. J'attache beaucoup d'importance au devoir de mémoire concernant la Shoah sur un plan privé (par exemple dans le cadre de mes voyages), comme dans ces misérables blogules (par exemple lorsque je déplore une résurgence du nazisme ou une faillite du devoir de mémoire).
- Je ne crois pas être anti-Israël. Sur un plan politique, comme je l'ai expliqué, je suis plus J Street qu'AIPAC*. Ces deux organismes sont pro-Israéliens, mais les premiers souhaitent réellement la paix et savent bien que l'on n'y parviendra jamais avec des dirigeants qui fondamentalement refusent la paix et ont besoin de la guerre pour rester au pouvoir. Sur la question de l'Etat d'Israël, ma position est claire : je ne suis pas anti-Israël et pro-Palestine mais pro-Israël ET pro-Palestine. Israël et Palestine doivent coexister pacifiquement comme deux Etats souverains, et des concessions sont nécessaires de part et d'autre. Je crois en particulier que chacun doit être très clair sur sa propre nature et dans ses propres statuts. Je déplore les circonstances dans lesquelles l'Etat d'Israël a été créé. Tout le monde a perdu dans l'affaire : les Palestiniens bien sûr, mais aussi l'ensemble de la communauté internationale (et en particulier les membres permanents du Conseil de Sécurité de l'ONU, les vrais coupables sur le coup), et les Israéliens eux-même. Je ne remets pas en cause la légitimite de l'Etat, je remet en cause sa légitimité à aller au-delà de ce qui est légitime (et qui avait d'ailleurs été accepté), et je déplore surtout l'absence de constitution, qui a mon sens pose problème essentiel sur un plan interne et doit être réglé au plus vite. Israël ne peut plus faire l'économie d'une mise au clair : la fuite en avant n'est pas une solution durable, et le pays ne saurait se définir par rapport au seul Hamas.
- Ce n'est pas moi qui suis anti-Israël, mais les Benjamin Netanyahu et autres Avigdor Lieberman. Je ne veux pas condamner Israel mais au contraire qu'Israel se sauve pendant qu'il en est encore temps. On a pu mesurer l'impact de 8 ans de Bush-Cheney sur la paix dans le monde et sur le niveau d'anti-américanisme... Si l'on veut que le modèle démocratique se répande, il est essentiel que les rares démocraties de la region se montrent exemplaires.
Q: EN QUOI LES DIRIGEANTS ISRAELIENS JUSTIFIENT-ILS LE QUALIFICATIF DE "FASCISTES" ?
- Je renvoyais à la definition du fascisme selon Mussolini sachant que chaque pays, chaque époque a ses particularités. Aujourd'hui, le fascisme prend des formes nouvelles et très variées en raison d'innombrables paramètres, mais aucun continent n'est à l'abri (Italie, Japon, Israel, Russie, USA, Iran...), et l'on peut difficilement nier le regain fasciste au niveau global, en compagnie de / en synergie avec d'autres idéologies tout aussi nauséabondes.
- Israël n'est pas une dictature fasciste, mais une démocratie actuellement dirigée par des fascistes, et qui menace de s'engager plus loin encore sur la voie du fascisme. Israel n'est pas un pays fasciste, mais un pays dont le premier ministre peut se faire descendre parce qu'il prône la paix. Israël est une démocratie, mais une démocratie où deux partis arabes ont été interdits de participer aux dernières elections, où certains souhaiteraient aller jusqu'à enlever leur citoyenneté ou leur droit de vote aux Israéliens arabes ou non juifs, et où une colonisation extensive vise a fausser les réalites démographiques pour créer artificiellement une majorité ethnique (l'abandon de Gaza procède de la même logique comptable). Je ne suis pas sûr que tous les Israéliens se reconnaissent dans ces exactions iniques, ces bruits de bottes, l'anschluss de territoires Palestiniens ou la constitution de véritables ghettos. Si comme en 2003, la Cour Suprême a finalement annulé l'interdiction des partis arabes, il n'en demeure pas moins qu'au-delà du Likud et de Kadima, même le Parti Travailliste a poussé en faveur de cette interdiction proposée par l'extrême droite... ce qui en dit long sur le glissement loin du centre de l'ensemble du spectre politique local. Au passage, ici comme ailleurs, tout risque de basculer encore plus vite si la Cour Suprême évolue mal. Et comme aux States**, valeur à surveiller de très très près le moindre pet de travers des membres de la Cour Suprême israélienne.
- Le terme de fascisme est traditionnellement assumé par une partie de l'extrême droite israélienne depuis les années 30. Evidemment, à l'époque, le modèle était Italien et non Allemand, même s'il eut par la suite des échanges directs avec le régime Nazi. Le mouvement Brit Habirionim et son spin off Maximalisme Revisioniste cher à Abba Ahimeir (un proche de Benzion Netanyahu, père de qui vous savez) revendiquaient fièrement le label fasciste. Aujourd'hui encore, en Israël comme aux Etats-Unis, une frange radicale d'essence fasciste demeure active.
- Pour moi, l'élément clef dans l'Israël d'après Rabin est l'importance de la guerre : le conflit n'est plus seulement un moyen de défendre le territoire. Sans même évoquer l'"impérialisme" cher à Mussolini, et de conflits "justifiés" par des ambitions de conquête de nouveaux territoires (ou reconquête suivant le point de vue), c'est l'état permanent de conflit qui compte, comme un moyen de renforcer l'Etat, ou plutôt un certain idéal d'état et les dirigeants actuels d'une démocratie supposée basculer vers cet idéal. Dans le cas des faucons de Tel Aviv, l'Etat couvre un sens particulier et complexe, parfois au-delà de l'ultra-nationalisme, et il implique tous les individus qui y participent et y font corps. Mais s'il entretient l'état de conflit permanent et s'il présente des relents théocratiques, cet idéal ne ressemble pas à celui du tandem Bush-Cheney (d'autant que Yisrael Beiteinu, le parti de Lieberman, est plutôt laïc) : il obéit à une logique bien à lui, qui exclut à terme une partie des citoyens. De nos jours, un Etat ne peut se permettre de priver ouvertement des citoyens de leurs droits ou de leurs libertés aussi facilement que par le passé. Bush et Cheney y sont parvenus partiellement sous couvert de "guerre contre le terrorisme", Netanyahu aura plus de mal dans des circonstances pourtant proches. Parce qu'il ne peut pas tout se permettre dans le cadre d'une démocratie, son Gouvernement n'agit pas seulement directement en tant qu'Etat (déjà assez interventionniste et "instrumental" dans la radicalisation des rapports avec les Palestiniens, comme on peut le voir avec la construction du mur par exemple), mais plus souvent et de façon parfois encore plus efficace en soutenant des factions radicales non gouvernementales.
- Fondamentalement, les dirigeants actuels d'Israël sont fascistes parce qu'ils rejettent la démocratie actuelle (ils souhaitent redéfinir la notion de citoyenneté, affirmer une notion d'Etat incompatible avec le droit international), et surtout parce qu'ils ne veulent pas de la paix car sans la guerre et la haîne ils disparaissent. C'est pareil du côté du Hamas et d'ailleurs, les faucons de Tel Aviv ont tout fait pour assurer leur succès en Palestine afin de conforter leur propre pouvoir.
- En Israël, tout le monde sait que Netanyahu ne veut pas de la paix et fait tout pour l'empêcher. Il avait déjà fortement contribué à l'entreprise de torpillage d'Oslo, preparant le terrain aux fanatiques qui ont assassiné Rabin. Depuis, Israël n'a jamais été dirigé par quelqu'un qui fondamentalement souhaite la paix, Ehud Barak y compris (ce que confirme d'ailleurs son parcours depuis).
Q: Y'A PIRE AILLEURS, ET TOUS LES PALESTINIENS NE SONT PAS DES ENFANTS DE CHOEUR NON PLUS !
- Premièrement, mon propos porte avant tout sur une question de politique intérieure israélienne : indépendamment de l'Iran ou du Hamas, comment les citoyens Israéliens envisagent-ils leur avenir, qu'attendent-ils de leur propre pays et de leurs propres dirigeants, se reconnaissent-ils dans un idéal fascisant ? Si j'attends une réaction, ce n'est pas des habituelles escouades d'extrémistes des deux camps, mais de la majorité moderée israélienne. Je me doute bien que ce n'est pas facile de prendre du recul lorsqu'on reçoit une roquette tous les soirs mais c'est parfois nécessaire.
- Deuxièmement, je renvoie dos à dos les extrémistes des deux camps. Le Hamas ne reconnait pas Israël, mais le gouvernement d'Israël ne reconnait plus la Palestine. Tous deux sont coupables de refuser la paix et le compromis péniblement atteint par leurs prédécesseurs pacifistes. On peut faire le parallèle entre les fondamentalistes colons israéliens et les fondamentalistes du Hamas, les deux instrumentalisant d'ailleurs des enfants pour assurer la perennité de leurs idéologies de haîne par-delà les générations.
- Mais c'est déjà une question de posture. Tant que les fondamentalistes des deux camps s'entretiennent les uns les autres, on n'en sort pas. Il faut un changement de leadership avec une coupure claire pour marquer le coup. Meme si c'est de façon unilatérale pour commencer, cela déstabilise les radicaux adverses et les expose brutalement aux yeux du monde. De même, le discours d'Obama au Caire (voir "State Of The World Union") et son message de Nowruz (voir "Beyond the Iranian people, Obama is addressing Israel") n'empechent pas Khamenei de s'enfoncer en refusant la main tendue, mais vont dans le bon sens et contribuent à marginaliser les marchands de haîne.
Un beau jour, un homme a clamé haut et fort "we reject as false the choice between our safety and our ideals ". J'attends la même chose des Israéliens et des Palestiniens... et qu'il n'y ait plus la moindre ambiguïté sur les "idéaux" en question.
* et plus Woody Allen que Paul Wolfowitz.
** Les USA ne sont pas un pays fasciste, mais ils sont vraiment passés tout près.