No You Can't, Mr Ahmadinejad
Apparemment, Mahmoud Ahmadinejad a réalisé un score trop parfait pour être honnête en s'octroyant 62,63% des voix aux présidentielles iraniennes : suffisamment au-dessus de la majorite absolue pour éviter les polémiques sur la pertinence d'un second tour, et suffisamment au-dessous des standards "République Bananière".
Mais il lui fallait également concéder la réalité d'un combat serré et dans ces conditions, Mir-Hossein Moussavi ne pouvait décemment pas obtenir moins d'un tiers des voix. Accordé, de justesse : 33,75%.
Cette petite cuisine ne laisse que 1.73 et 0.85% aux deux autres candidats. Avec en gros le même ratio deux tiers / un tiers en faveur du candidat conservateur (Roshen Rezaee), pourtant attendu loin derrière le candidat réformateur (Mehdi Karroubi). Résultat des courses : ce dernier n'obtient que 300.000 voix. Il en avait obtenu plus de 5 millions aux présidentielles de 2005.
Voir arriver Ahmadinejad en tête n'est pas vraiment une surprise compte tenu de sa mainmise sur l'appareil d'Etat et l'organisation des élections. On pouvait s'attendre à une forte mobilisation par ses troupes dans les zones rurales où à moins de porter le maillot de régional de l'étape, aucun de ses concurrents ne bénéficie d'un tel avantage.
Mais cette participation record n'explique pas tout. Et à la conférence de presse du Ministre de l'Intérieur, diffusée en direct sur les chaînes internationales (NB: avantage à CNN devant la BBC pour la fluidité de l'interprête Farsi-Anglais), la forfaiture a éclaté au grand jour : d'un côté je donne les résultats nationaux à la voix près, et de l'autre je déclare que les résultats régionaux seront officiellement annoncés dans les jours à venir par chaque région, puisque cela relève de leur responsabilité.
Entre les lignes :
- laissez nous le temps de donner à ce décret "top down" une illusion de vraisemblance "bottom up"... et croyez moi, l'équation n'est pas si simple : autant expliquer la physique quantique à l'aide de la physique classique
- si d'aventure des incohérences venaient à apparaitre, ce serait à la marge, d'ordre local, et ne remettrait rien en cause au niveau national.
Le toujours vigilant Juan Cole* met déjà en avant quelques aberrations comme le caractère homogène des scores d'Ahmadinejad dans un pays habitué aux forts clivages régionaux, l'échec au Luristan de l'enfant du pays Karroubi, ou celui de l'Azeri Mir-Hossein Moussavi dans la région d'Azerbaïdjan. Le Ministre de l'Intérieur a néanmoins annoncé une victoire de Moussavi à Téhéran.
Sans surprise, l'opposition n'a pas laissé passer la forfaiture en prenant la rue dès l'annonce des résultats officiels. Scènes de violence, arrestations, censure... en bon fondamentaliste, Ahmadinejad confirme que sa principale cible n'est ni Israël ni les Etats-Unis mais bien les modérés de son propre pays.
Sa victoire de 2005 était déjà entâchée d'irrégularités mais ici, la rupture parait bien trop forte. Plus encore qu'entre le Président et son peuple, elle affaiblit la légitimité des autorités religieuses ultra-conservatrices qui l'ont laissé faire et accroître son emprise sur l'Etat.
En fait, Ahmadinejad vient peut-être de mettre un terme à la Révolution de 1979 en engageant à travers la sienne, la légitimité du pouvoir suprême :
- par sa qualité d'ancien Premier Ministre de Khomeini, Moussavi pouvait paradoxalement prolonger la légitimité du régime tout en menant ses réformes
- en s'aliénant la jeunesse du pays, les chefs religieux sont désormais privés d'avenir, tributaires d'un seul homme qui n'est même pas l'un des leurs.
Le divorce entre ce Président et le pouvoir religieux semble donc inéluctable, mais ne se résoudra pas à l'amiable. Surtout si les Ayatollahs s'enferrent dans leur repli suicidaire. En fait, la victoire d'Ahmadinejad annonce la défaite du régime aussi certainement que le triomphe de Bush en 2004 annonçait l'implosion du Parti Républicain.
Mahmoud Ahmadinejad n'a jamais été aussi fort... et l'Iran aussi faible depuis 1979.
Au moment même où le monde a besoin d'un Iran stable et cohérent.
Bien sûr, la répression peut réussir sur le court terme. Mais il faudra peut-être bientôt choisir entre l'unité du pays et la survie d'un système. Dans l'immédiat, Ahmadinejad semble condamné à occuper d'une façon ou d'une autre le territoire du changement positif, et le chemin le plus facile semble sur la scène internationale.
* voir "Informed Comment" "Stealing the Iranian Election"
Bonjour,
RépondreSupprimerJe viens de valider votre article sur AgoraVox. Il est très bien fait, même comme je n'adhère pas à l'approche.
Félicitations !