Nous rejetons comme faux le choix entre notre Sécurité Sociale et nos idéaux
La bataille pour la couverture médicale universelle fait rage outre-Atlantique. Barack Obama prend des risques considérables à pousser une réforme certes annoncée et indispensable mais politiquement très casse gueule : personne n'a oublié comment Bill et Hillary Clinton avaient perdu la majorité Démocrate aux élections de 1994, et certainement pas les Républicains, qui sortent le gros calibre pour refaire le coup en 2010.
En parallèle, une intense campagne de lobbying est menée par les grands groupes pharmaceutiques US, principaux bénéficiaires des dysfonctionnements du système. A en croire leurs publicités, tout fonctionne à merveille et ce sont les réformes qui jetteraient de l'argent par les fenêtres. Or 46 millions d'Américains ne sont pas couverts, et pourtant la santé pèse 16% du PNB en France, cinq points de plus qu'en France et deux fois plus qu'au Royaume Uni, un pays où la densité de médecins, d'infirmières, ou de lits d'hopitaux est identique, mais la mortalité infantile inférieure de 30%. Où va l'argent ? On en retrouve une partie dans ces campagnes, et les lobbies actionnent leurs relais habituels dans les media et au congrès... pas joli-joli, mais rien que du très classique.
Ce qui rend l'atmosphère encore plus irrespirable qu'aux pires moments de la campagne présidentielle de l'an dernier, c'est la campagne de dénigrement mille fois plus violente et pernicieuse menée par des officines ultra-radicales. Ce n'est plus seulement de "socialisme" qu'il est question mais de "soviétisation" voire de "Nazification" : une rumeur totalement infondée de "death panels" lancée par les habituels media d'extrême droite a été prolongée par des portraits d'Obama sous les traits d'Hitler. La haîne se déchaîne à tous les niveaux et les adversaires de la réforme font preuve d'une impressionnante détermination pour torpiller toute tentative de rapprochement bi-partisan. Comme s'il s'agissait d'une question de vie ou de mort.
De fait, certains jouent très très gros dans l'affaire. Mais pour eux, l'avenir du système de santé américain est bien le dernier de leurs soucis...
Selon Karl Rove*, le Président Obama serait en état de "campagne permanente". De la part d'un homme qui a commencé la campagne présidentielle 2004 de George W. Bush sitôt volé le scrutin de 2000, ça ne manque pas d'air. D'autant plus que cet homme est toujours en campagne à l'heure qu'il est : en faveur de sa fameuse "Bush Legacy" ("L'Héritage Bush"), le point de vue d'un révisionniste sur l'une des périodes les plus sombres de l'histoire des Etats-Unis.
Selon Karl Rove, "transformer des critiques en ennemis n'est pas présidentiel". De la part d'un homme qui a fait virer des juges parce qu'ils étaient incapables d'inventer des preuves contre les critiques de l'administration Bush-Cheney**, ça ne manque pas d'air. Vous vous souvenez de ces gars qui ne cessaient de donner du "us vs them" ? C'était "présidentiel", peut-être, d'appeler "l'axe des fouines" des amis qui vous conseillent de ne pas envahir illégalement un pays parce que vous risquez de renforcer le terrorisme international au lieu de l'affaiblir ? C'était "présidentiel", peut-être, d'appeler "non-Américain" des patriotes osant émettre l'hypothèse qu'institutionnaliser la torture, et pas seulement contre des innocents, n'était peut-être pas cohérent avec les valeurs américaines ?
Pourquoi diable Karl Christian Rove***, cet individu qui a érigé en art l'état de "campagne permanente" et la "transformation de critiques en ennemis", s'acharne-t-il à se ridiculiser en public ?
Pour la faire simple, cet homme a la trouille.
Comme d'autres, il sait que l'heure de la disgrâce va enfin sonner. Avec peut-être même de la prison au bout du compte.
Karl Rove s'époumonne à diaboliser l'"Obama(s)care" parce qu'il sait pertinement qu'une fois ce dernier effort bipartisan terminé, Eric Holder et la justice auront les mains libres pour accélérer le solde pour tous comptes de l'ère Bush-Cheney.
"Healthscare" est l'ultime avatar de la politique de la peur caractéristique des années Bush. Mais cette fois-ci, la peur a changé de camp. Ce n'est plus à une administration corrompue de décider qui est coupable en shuntant le circuit normal à travers une caricature de justice, mais à la vraie justice d'oeuvrer en toute indépendance, sous la protection d'un gouvernement sain et respectueux de la répartition des pouvoirs dans une démocratie. Une fois de plus, Barack Obama ne pointe personne du doigt : il indique simplement la direction pour la Justice ****.
Beaucoup pensent qu'Obama est fou de s'attaquer à la réforme de la santé maintenant, mais il n'a pas vraiment le choix : c'est maintenant ou jamais. Impossible de mobiliser la nation sur un projet aussi structurant au milieu d'une "reprise" en L ou en W. Et le Président a besoin de rassembler le plus largement possible au sein du Congrès.
Si vous avez le moindre doute sur le sens des priorités de Barack Obama, rappelez vous simplement les mots les plus importants de son discours inaugural ("We reject as false the choice between our safety and our ideals"), et de sa première décision en tant que Président (ordonner la fermeture de Guantanamo).
"Change is coming", et les adversaires les plus acharnés de cette réforme sont ceux qui ont le plus à craindre de la justice.
Ce n'est pas du "socialisme" qu'ils ont peur, mais de la Justice.
La Justice contre une administration fascisante, sa propagande, sa politique de terreur, sa promotion de la torture...
La Justice contre les criminels qui ont délibérément cherché à détruire les fondements de la démocratie américaine.
L'heure est venue d'en finir avec les pires ennemis de l'Amérique : ceux qui la détruisent de l'intérieur.
So with hope, we reject as false the choice between our social security and our ideals.
SM 2009
* voir "Obama and the Permanent Campaign" (WSJ - 20090813)
** voir "E-Mail Reveals Rove’s Key Role in ’06 Dismissals" (NYT - 20090811)
*** ne vous laissez pas attendrir par son petit nom : Karl est plutôt de la variété Médiévale / Croisades que dans la tradition "peace and love".
**** revoir "'Insects placed in a confinement box' (Welcome on Waterboard)"
---
initialement publié sur blogules en V.O..
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Merci pour vos commentaires et pour votre patience: je dois valider manuellement chacun de vos messages sur chacun de mes nombreux blogs. J'accepte volontiers les critiques, mais ni le spam, ni les liens commerciaux, ni les messages haineux.
Stephane