"Mein Kampf" et domaine public, salut nazi et salut public
Le manifeste d'Adolph Hitler tombera dans le domaine public le 31 décembre 2015, et la question se pose déjà* de savoir s'il faut maintenir l'interdiction de sa publication en Allemagne, ou en autoriser des éditions encadrées par des notes et préambules rappelant le caractère abject de cette oeuvre comme des crimes commis dans son prolongement.
Il ne s'agit plus seulement de disserter sur une "simple" oeuvre de fiction chargée de racisme et de colonialisme comme l'édition originale de "Tintin au Congo" (déjà à l'origine de nombreuses polémiques), mais sur un programme absolument criminel, responsable de millions de morts.
A mon sens, une oeuvre comme celle d'Hergé ne peut plus être diffusée dans sa version originale, mais ne doit pas pour autant être censurée. Elle doit servir à des fins pédagogiques, ce qui entend pour le lecteur non seulement un avertissement clair en préambule et en conclusion, mais aussi des notes de lecture mettant systématiquement en évidence les éléments condamnables. Cela nuit à la lecture d'une oeuvre de fiction mais justement au profit de l'objectif pédagogique : ce lecteur doit comprendre ce qui pose problème et maintenir une distance avec ce qu'il lit. Il s'agit, sans remettre en cause le talent d'Hergé, de dénoncer un état d'esprit intolérable, un comportement et un type de société que nous souhaitons révolus.
Il serait évidemment tout autant intolérable de comparer RG et AH. Je suis toutefois partisan d'une approche similaire : interdiction de publier l'oeuvre sans un cahier des charges bien précis.
Précision : au-delà de rares extraits, je n'ai pas lu "Mein Kampf". Pour les délires psychotiques je préfère la fiction, et pour comprendre l'origine du fascisme, je préfère consulter un autre agité du bocal : Mussolini.
Au moins trois éléments semblent à prendre en compte dans cette affaire :
- La chute dans le domaine public
- Le devoir de prohiber l'incitation à la haîne et le révisionnisme
- Le devoir de mémoire et d'enseigner l'histoire
L'entrée dans le domaine public rendra caduque toute interdiction d'une publication déjà très accessible sur la toile. Celui qui veut se procurer le texte maudit y arrivera, et une publicité massive sera faite sur cette... publicité.
Autant prendre les devants pour ne pas laisser le terrain libre aux marchands de haîne, et au contraire exposer l'imposture de la propagande (neo) nazie qui ne manquera pas de proliférer.
Et après tout, d'autres extrémistes n'exploitent-ils pas aujourd'hui des textes bien moins polémiques mais tout aussi sulfureux s'ils sont appréhendés par des esprits pervers ? Certains passages de la Bible ou du Coran pris brut de décoffrage choquent bien plus que les aventures rocongolesques du petit reporter à la houpe.
"Mein Kampf" (avec sa suite "Zweites Buch") constitue un document historique majeur et doit faire l'objet d'un soin particulier. Toutes les analyses ne se valent pas et des "pseudos" chercheurs se feront un plaisir de faire l'hagiographie d'Hitler sous couvert de décrypter son livre fondateur.
Je me demande si une solution acceptable serait de former une commission internationale sous s'autorité des Nations Unies afin de produire une édition pédagogique universelle labellisée UNESCO commercialisée par les Editions de l'UNESCO dans des conditions à définir.
Cette époque a besoin de référentiels clairs pour lutter contre la montée du révisionnisme. L'existence d'une édition au label UNESCO rend de facto les autres éditions "alternatives".
C'est une mission de salut public face au salut nazi.
blogules
* exemple sur Rue89 "Rééditer Mein Kampf, un mal nécessaire" (20090821)
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Stephane