Les journalistes aboient, la caravane des media passe
Les 3èmes Assises du Journalisme se tiennent à Strasbourg sur fond de mouvements telluriques paradoxaux :
- la convergence triomphe, mais AOL Time Warner redevient "AOL, Time, Warner"
- les journaux meurent et l'éthique journalistique frise l'extinction, mais le journalisme n'est pas mort
- tout le monde revendique le statut de journaliste, mais le statut de journaliste aujourd'hui, c'est de se retrouver à la rue, à hésiter entre montrer ses Facebook et tapiner jusque sur le perron de l'Elysée*.
- un grand pays ne devrait pas tarder à recruter massivement des journalistes du monde entier, mais pas nécessairement pour faire leur métier : le fonds d'état China Media Capital a été institué pour que des boîtes comme Shanghai Media Group rivalisent rapidement avec les majors internationales (pourquoi pas en rachetant des fleurons comme Time ?)
- ...
Enfin, ce que j'en dis...
Une fois de plus, je ne suis pas journaliste mais auteur. Ces misérables lignes** me servent de défouloir quand je ne produis pas des objets proto-littéraires à peine plus lisibles.
Dans une vie antérieure (1993-2003), j'ai néanmoins eu l'occasion d'étudier les impacts des nouveaux media sur de nombreux secteurs d'activité, et de constater à chaque fois que si internet / le web a une vertu, c'est bien de forcer chacun et chacune à se poser les bonnes questions sur son propre métier.
Le journaliste n'échappe bien sûr pas à cette évidence, même s'il a résisté un peu plus longtemps que prévu à l'inéluctable remise en cause. A sa décharge : comme on a pu le voir avec Ruppert Murdoch, les moguls à l'ancienne ont persisté dans leur logique jusqu'à très récemment. Et encore aujourd'hui, ils ne considèrent souvent le changement que sous l'angle d'une migration du papier vers la toile, se contentant de demander à leurs journalistes de produire pour les deux supports (plus la video quand ils ont la chance de bien passer à la tévé)....
Qu'est-ce que le métier de journalisme ? Comment le définir de façon intemporelle, quels en sont les dimensions-clef ? Sur quelle partie de la chaîne / du nuage de valeur tel ou tel individu, en fonction de ses qualités propres, a-t-il intérêt à se renforcer, se désengager, ou au contraire à se positionner de façon... inédite ?
Chacun a sa façon de définir son métier par ses fins plus que par ses moyens, à partir d'une vision ou d'une mission plus que d'une technique. Par exemple, en tant qu'auteur, mon métier n'est pas d'écrire mais d'ouvrir des portes pour me créer des courants d'air dans la caboche, écouter ma voix non sonore, éviter de devenir complètement dingue... et laisser entrer, le plus tard possible, cette putain de mort.
Je serais bien infichu de savoir ce qui se passe dans sa caboche du journaliste, même si je me doute bien qu'il se définira au-delà de son seul savoir faire du faire savoir. Si l'on descend sur le plan technique, la qualité de son oeuvre reposera en partie sur sa capacité à :
- Sourcer (sélectionner, vérifier, valider - parfois en faisant le boulot lui-même, parfois en sous-traitant / out-sourçant, voire en crowdsourçant)
- Analyser (un journaliste avec sa propre opinion, ça existe, j'en ai rencontré - d'autres s'en remettent aux commentaires des lecteurs avec la bienveillance des actionnaires - plus juteux pour les revenus publicitaires, moins casse gueule sur le plan juridique... et lorsqu'à l'opposé l'opinion prend le pas sur le reste, le journaliste cesse d'être journaliste pour devenir une star de l'Op-Ed / opinion-editorial - les actionnaires sont là aussi bienveillants, mais avec la trouille de voir la signature changer d'écurie ou s'installer en solo)
- Illustrer (c'est la "majeure" du photojournaliste, du champion du cartoon qui cartonne)
- Composer (le coeur de la mise en forme, pas au sens mécanique du typist, mais noble du compositeur : l'art d'écrire, de mettre en musique, mais aussi parfois de jouer pour un acteur / reporter)
- Editer (la mise en valeur / en page en page du contenu, son inscription dans une ligne éditoriale, mais aussi l'art de polir ou de censurer - une tâche que le journaliste assure toujours en partie, même à l'insu de son plein gré)
- ...
Le journaliste se retrouvant brusquement livré à lui-même, Sans Media Fixe, se voit trop souvent obligé de remonter dans la chaîne de valeur en assurant sa propre diffusion, la promotion et la vente de son contenu. Celui qui reste bien au chaud dans l'écurie, lui, se voit trop souvent obligé de descendre dans la chaîne des valeurs en acceptant la vente de son âme.
Les brebis égarées trouvent parfois des étables de passage, du 2.0 avec une petite touche rétro :
- très eighties pour le HuffPost, avec Arianna Huffington dans le rôle de Larry Hagman ou Joan Collins, mais version côte ouest : son meta-media ouvre le portail pour attirer le maximum de têtes de bétail, plante des derricks tous azimuts pour pomper un barril de plus, et dynamite les montagnes entières pour lever une nouvelle pépite
- plus seventies pour Politico, mais ne dites pas à Ben Smith qu'il ressemble à Robert Redford, j'en ai marre de le voir en tête de gondole.
Parfois, le journaliste aboie quand la caravane des médias passe. Comme Caroline Fourest lorsqu'elle dénonce, au-delà de l'imposteur Tariq Ramadan, un grand media mélangeant délibérément les genres entertainment et debat en ouvrant la porte a toutes les propagandes et désinformations (et ça marche : chaque semaine, Laurent Ruquier continue à faire debat sur son émission… qui consiste en revanche à tourner le débat en ridicule).
Pour les media aussi, il convient de ne pas confondre les risques du métier et les risques encourus lorsque l'on oublie son coeur de métier. Dans un cas on peut parler de malchance, dans l'autre de faute.
blogules 2009
* Attention : le "journalisme citoyen" masque généralement une imposture, mais il y a un saut entre finir à la rue et sur Rue89 (voir "Journalisme citoyen - témoignage participatif"). Par ailleurs, le perron de l'Elysée n'a rien à envier aux canivaux les plus sordides... Au moins le sarkolâtre officiel assume-t-il sans hypocrisie sa ligne éditoriale : ça facilitera la tâche de ceux qui voudront le tondre à la Libération, le jour où notre Barack Hussein à nous sera élu.
** En fait, pour être totalement transparents, mes blogules pourraient afficher, à défaut du talent, l'avertissement du Daily Show de Jon Stewart et se définir comme "a news parody - its stories are not fact checked, its reporters are not journalists, and its opinions are not fully thought through". Je préfère parler d'"Armes de Désinformation Massive", en hommage à la période trouble à laquelle ce site a vu le jour (peu avant l'invasion de l'Irak).
*** "Caroline Fourest répond à Tariq Ramadan" (sce Rue89 20091003)
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Stephane