Quelle que soit l'issue des mouvements démocratiques dans le monde arabo-musulman, cette décennie commence bien mieux que sa devancière : le nauséabond ping-pong entre fondamentalistes islamistes et chrétiens (voir "Universal Declaration of Independence from Fundamentalism") laisse enfin place à une expression franche et massive de la majorité jusqu'ici silencieuse - celle des modérés. Et plus que jamais, je suis confiant dans l'avènement d'une véritable renaissance musulmane : le retour d'un humanisme tolérant, ouvert sur les sciences, respectueux des droits des hommes et des femmes, et à l'origine d'un foisonnement culturel dans tous les domaines.
Le rideau de sable n'est pas encore tombé, et si ces mouvements proto-révolutionnaires rappellent la fin des années 80 en Europe de l'Est, les situations ne sauraient être plus différentes.
Cette fois il ne s'agit pas de l'effondrement transnational d'un système corrompu et d'une idéologie dépassée avec la bénédition "top down" d'un leader réformiste (Gorbachev), mais d'une succession de soulèvements "bottom up" / "grassroot" contre des despotes locaux, des régimes corrompus mais non fondés sur une véritable idéologie.
Le peuple est dans la rue, mais ses revendications sont universelles : le respect des droits des citoyens, la fin de la corruption et de la répression... Ce n'est donc pas le moment d'imposer une nouvelle idéologie et c'est bien pour cela que les Frères musulmans se la jouent profil bas au Caire : eux ont déjà sous le coude l'organisation parallèle solidement implantée dans le pays, et naturellement une idéologie peu compatible avec les aspirations de la majorité silencieuse.
Alors les Frères jouent la montre en avançant leurs pions : si l'immense majorité se contrefiche des idéologies et refuse le choix entre la dictature et le fondamentalisme, l'immense majorité préfère l'ordre au chaos, et pour peu que l'incertitude s'installe dans la durée ou que les cliques au pouvoir* jouent les prolongations...
Israel observe naturellement de très près ses "amis" dans la région en pleine tempête : la Jordanie et l'Egypte pourraient basculer avec la bénédiction des radicaux. Que ces radicaux soient Islamistes ou Sionnistes, naturellement : en réprimant violemment la fronde populaire sur ses terres, le régime Iranien a certes retardé l'inéluctable de quelques années, mais aussi renforcé les faucons à Tel Aviv... et ces jours-ci, les leaders israéliens verraient presque d'un bon oeil une Egypte moins conciliante. De quoi légitimer leur propre régime corrompu, fondé lui aussi sur une idéologie dépassée. Pas une dictature, certes, mais pas une bande de gars très bien non plus (voir "Israel ouvertement sur la voie du fascisme" suivi de "Persiste et signe").
Barack Obama est un type plutôt bien. Malheureusement, ces jours-ci, le POTUS ne semble pas en charge des affaires étrangères des Etats-Unis, à en juger par le gouffre béant entre ce qu'il dit et ce que son pays fait. Et ce brave homme n'a même pas un guichet unique style Gorby auquel s'adresser pour demander à ce que ce fichu rideau de sable soit déchiré...
A quoi faut-il s'attendre ? Probablement à plus de troubles et d'incertitudes, mais quelque part cette période de transition a commencé après la Seconde Guerre Mondiale et les guerres d'indépendance, et nous nous situons donc plus près de la fin que du début. A terme, je serais plutôt optimiste : je vois émerger des sociétés enfin libérées des pires déviances politiques et religieuses, et rayonner cette renaissance musulmane que j'appelle de tous mes voeux à chaque fois qu'on me ressort cette imposture du choc des civilisations.
Dans l'immédiat, la plupart des dictateurs du globe doivent avoir reçu le message de ces soulèvements pacifistes à travers le monde arabo-musulman. Mais les supposées grandes démocraties doivent également en tirer quelques leçons : si elles applaudissent les mouvements démocratiques et l'auto-détermination des peuples comme au Sud Soudan, elles doivent se demander ce que signifie être une nation dans ce monde globalisé, ce qui fédèrera encore leurs propres membres dans ce millénium en réseau.
Quoi qu'il en soit et plus que jamais, chaque individu aspirera à plus d'universalité (en tant qu'être humain) et de personnalité (ce qui définit son identité).
blogules 2011 - également en VO
Ben Ali comme Moubarak étaient déjà des caïds en bout de course : au-delà de leur mort politique annoncée, il s'agit de nettoyer un entourage controlant l'essentiel du pouvoir et de la valeur produite dans le pays.