20070627

En finir avec le fondamentalisme

Jamais depuis le Moyen-Age les fondamentalismes ne se sont aussi bien portés à travers le monde. En s’adaptant parfaitement à une société mondialisée et en réseau(x), des mouvements jusqu’alors marginaux sont parvenus à s’imposer comme quasi-dominants dans les media, régentant l’actualité à défaut de pouvoir contrôler le pouvoir réel. Un noyau d’initiés suffit désormais à animer des multitudes soigneusement maintenues dans l’ignorance grâce à une propagande efficace déclinant une idéologie simpliste autour d’une caricature de religion. L’argumentaire passe d’autant plus facilement que cette multitude subit au quotidien des injustices flagrantes, la moindre illusion d’espoir rendant plus supportable la misère absolue.

Ces phénomènes ne datent pas d’hier, mais la frustration a été récemment exacerbée par de trop nombreux espoirs déçus. Par incurie parfois, mais souvent aussi par le torpillage systématique des rares initiatives de résolution, ou encore l’élimination méthodique des rares personnes susceptibles de concrétiser un mince espoir de réconciliation. Ce n’est pas un hasard si Yitzak Rabin en Israël et Ahmed Chah Massoud en Afghanistan ont été assassiné par des courants supposés partager la même religion : le principal ennemi d’un fondamentaliste c’est le modéré dans ses rangs, certainement pas le fondamentaliste d’en face. Car le fondamentaliste d’en face, c’est le miroir qui renvoie de lui aux yeux du monde une image encore plus grande et plus belle. A eux deux, les fondamentalistes se faisant face captent toute la lumière, masquent leur desseins obscurantistes, et focalisent leurs rayons pour réduire en poussière tout ce qui ose bouger dans leur terrain de jeu commun...

Le coup d’envoi de la ligue mondiale nouvelle formule a été donné par Osama Ben Laden le 9 septembre 2001. Il n’en était certes pas à son coup d’essai mais cette fois-ci, il savait à quel genre de "wi(l)d receiver" il avait affaire : un "born again Christian" proche des cercles les plus fanatiques, comme ces fous furieux qui soutiennent les fondamentalistes Israëliens dans l’espoir de déclencher la guerre finale supposée provoquer le retour du Christ... un homme qui se présente comme le simple exécutant de la volonté divine, inscrivant dès le départ son mandat sous le signe de la théocratie.

L’accusé de réception n’a pas traîné : dès son premier discours suivant l’attentat, George W. Bush a lâché le signal que tous les Islamistes attendaient, et que les fondamentalistes Chrétiens appelaient de tous leurs voeux ; le mot "croisade".

On peut critiquer Bush sur de nombreux points, mais pas sur sa stratégie à l’international. Le bourbier et la partition de l’Irak, l’avènement d’un illuminé en Iran, le sinistre remake de la partition Pakistan-Bangladesh en Palestine ou le renforcement des extrémistes en Israël ne constituent pas des échecs mais des succès éclatants. Car George W. Bush n’a pas agi en Président des Etats-Unis dans l’intérêt de son pays, ni même en Républicain dans l’intérêt de son parti, mais avant tout en fondamentaliste dans l’intérêt du fondamentalisme. Et donc des fondamentalismes.

Ce Commandeur des Crédules a ainsi permis à des courants pour le moins alternatifs d’étendre durablement leurs congrégations sur l’ensemble du territoire américain et en particulier en son coeur, dans les régions en forte croissance démographique. Bush a également prêché par l’exemple en s’attaquant aux piliers de la démocratie au plus haut niveau de l’Etat : la justice, la science ou l’éducation ne doivent pas faire obstacle à l’avènement d’une authentique théocratie. Au niveau international, il aura systématiquement cherché à s’affranchir de toute contrainte ou interdépendance, à rendre caduques les accords de toute nature (de Kyoto à Genève), à vider de leur sens les véhicules de la communauté internationale (l’ONU, bien sûr, mais même l’OMC en lui substituant une raffale sans précédent d’accords bilatéraux de - plus ou moins - libre échange)...

Le maintien d’un état permanent de guerre et de terreur est essentiel pour le fonctionnement de la propagande et l’affirmation d’un pouvoir faisant parfaitement écho au Grand Satan d’en face, qualifié par un habile effet de miroir d’Islamo-fascisme. Les amis de Bush doivent toutefois lui conseiller régulièrement de ne pas trop en faire dans le maniement de l’épée : d’accord pour supprimer des ennemis communs, du menu fretin et des petites frappes élevées au rang de martyr par la propagande, mais attention à ne pas décapiter tout le monde... C’est d’abord Ben Laden qui lui rappelle que son ennemi n’est pas le peuple américain mais les musulmans corrompus par les infidèles, puis Mahmoud Ahmadinejad qui lui écrit pourquoi tant de haîne ? nous avons tant de choses en commun dans notre approche de la foi...

Certes, les Américains ont sanctionné le sanctifié de la Maison Blanche, mais essentiellement sur son bilan militaire, et la victoire Démocrate de 2006 demande confirmation. En attendant, les fondamentalistes US sont enfin montrés du doigt, et deviendraient presque moins fréquentables : aucun candidat cherchant leur soutien ne prendra le risque d’un "coming out" trop marqué... La déroute irakienne a par ailleurs provoqué le divorce neocons - theocons : ce sont les "religieux" de la Maison Blanche qui avaient vendu la guerre aux néocons, qui l’avaient à leur tour vendue aux grands lobbies économiques... ces derniers s’étaient alors logiquement retournés contre leurs vendeurs en constatant les vices cachés.

Le poids des fondamentalistes demeure cependant... fondamental. Et Démocrate ou Républicain, aucun candidat à la présidence en 2008 ne voudra se les mettre à dos.

Une chose est sûre : Bush ne sera pas réélu, et le mouvement a besoin de nouveaux leaders pour poursuivre la croisade.

Si Benoît XVI peut difficilement incarner l’avenir, il a déjà prouvé sa capacité à relayer le témoin sur quelques précieux mètres. Et en dépit des apparences, ce théologien possède lui aussi un sens aigü de la communication. De sa "malheureuse gaffe" de Ratisbonne, le commun des mortels n’aura retenu que la citation d’un texte critique envers Mahomet (Controverse de Manuel II Paléologue relative à la violence dans l’Islam), mais il ne s’agissait là que de la caisse de résonnance généreusement offerte aux prêcheurs radicaux derrière le "miroir d’en face". Le coeur de son message résidait dans la primauté de la religion sur la raison. La profession de foi d’un fondamentaliste à l’attention de fondamentalistes, discrètement formulée par un érudit à l’attention d’érudits... et au passage, une authentique bénédiction urbi et orbi accordée à ces révisionnistes de la science qui prônent l’imposture du Créationnisme et de l’Intelligent Design.

Tout ceci quelques jours après avoir réhabilité les traditionnalistes jusqu’ici considérés comme déviants et archaïques. Et quelques jours avant de rendre visite à la Turquie, cette clef de voûte de la laïcité au carrefour de l’Orient et de l’Occident, cette pierre que tant de fous souhaitent faire tomber, cette pierre sur laquelle tant de fous veulent construire leur caricature d’église...

Le fondamentalisme se nourrit du fondamentalisme et pour imposer des idées radicales, il n’est de meilleur allié qu’une idéologie radicale rivale. Les modérés sont trop longtemps restés silencieux et il est temps de faire tomber les miroirs et les masques, d’exposer les manoeuvres destinées à miner la société dans son ensemble et dans toutes ses composantes, d’exiger des représentants du peuple un engagement formel sur leur respect des principes de la démocratie. Il ne s’agit surtout pas de s’engager dans une contre-croisade, une chasse aux sorcières, ou d’interdire la religion pour satisfaire les ayatollahs de l’ultra-laïcité mais au contraire d’ouvrir les bras aux autres, de faire triompher le respect, la tolérance et surtout la transparence.

Dans ce contexte, le retrait d'un texte condamnant le Créationnisme de l'ordre du jour de l'Assemblée du Conseil de l'Europe sonne comme un bien inquiétant signal.

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addendum : ce texte a évolué dans sa version anglaise vers une "Universal Declaration of Independence From Fundamentalism".

2 commentaires:

  1. analyse très pertinente sur le fondamentalisme,des rapro chements frappants, mais je n'ai pas bien compris l'alinéa sur la Turquie"clef de voute du laïcicisme"

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  2. Les fondamentalistes Chrétiens et Islamistes ne veulent pas d'une Turquie tranquille, modérée et laïque.

    Inversement, si ce carrefour stratégique continue à basculer dans le radicalisme et à cristalliser les haînes, ils pourront capitaliser dessus pour faire rayonner leurs messages tant vers l'Europe que le Moyen-Orient.

    Ce n'est pas un hasard si un Bush ou un Benoît XVI jette régulièrement de l'eau sur le feu sous couvert de jouer l'ouverture.

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Stephane

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