Une Dead Zone autour de la DMZ ?
Si vous avez lu 'The Dead Zone' (1979), la comparaison entre Donald Trump et Greg Stillson ne peut que vous sauter aux yeux. Dans ce classique de Stephen King, un homme capable de voir l'avenir (Johnny Smith) cherche à empêcher un populiste incompétent (Greg Stillson) de devenir président des Etats-Unis parce qu'il a 'vu' ce narcissique malfaisant déclencher la troisième guerre mondiale.
Stillson débute dans la vente en porte à porte (des Bibles dans le New Hampshire, mais son bagoût lui permettrait de fourguer tout aussi facilement des voitures dans le Tennessee, ou des penthouses à Manhattan), puis prend goût au pouvoir et à ses abus en s'entourant de gangsters pour mieux forcer son destin. Ses rivaux politiques ne le prennent pas au sérieux, avant de comprendre que la machine infernale sera impossible à arrêter. Si Smith échoue dans son projet d'assassiner Stillson lors d'un meeting de campagne, il réussit à changer l'histoire, puisque le candidat utilise un bébé pour se protéger du tireur, détruisant irrémédiablement son image juste avant l'élection.
Tous les lecteurs de The Dead Zone (dont votre serviteur, voir ci-dessous) ont trouvé Trump le plus Stillsonien quand, en pleine campagne, il a très sèchement demandé à réduire au silence un bébé un peu trop bruyant, révélant une nième facette sombre de son personnage:
"Donald Trump's babygate reminds me of Stephen King's The Dead Zone, the moment when Greg Stillson loses the election (20160803 -twitter.com/stephanemot/status/760661014371119105)" - voir aussi dans blogules en V.O. "It's all about character" |
Malheureusement, la réalité est bien plus terrifiante que la fiction: Trump n'est pas Stillson, ses méthodes peu orthodoxes ont réussi à le porter à la présidence (avec le soutien de Russes à peine plus orthodoxes et d'évangélistes peu regardants sur les valeurs morales), et l'image du Néron déclenchant le feu nucléaire continue de me hanter.
D'autant que Trump a la furieuse envie de mener dans les semaines qui viennent une opération hautement risquée, et susceptible de provoquer des millions de morts.
A de rares exceptions près comme Jim Mattis, la Maison Blanche a la ferme intention de frapper un coup en Corée du Nord pour dissuader Kim Jong-un de poursuivre son programme d'armement nucléaire. Cela fait des mois que ça les démange, mais comme annoncé (voir "Bonne année 2019"), ils devraient au moins attendre la fin des Jeux Olympiques de Pyeongchang.
Les motivations avancées par les partisans les plus acharnés des frappes préventives font froid dans le dos:
- H. R. McMaster, le principal conseiller de Trump en matière de sécurité, et un vétéran plus habitué aux conflits sur des territoires eloignés, se trompe en pensant que KJU est un leader moins rationnel que son propre boss. Comme si des centaines de milliers d'Américains ne vivaient déjà pas à portée des armes conventionnelles de Pyongyang, et comme si un conflit n'allait pas avoir de répercussion majeures dans la la péninsule et sur le reste du monde, il n'a aucun état d'âme à voir s'empiler les cadavres loin des States plutôt que sur le sol américain. Lindsay Graham ne dit pas autre chose quand il avance qu'il vaut mieux que ça se passe 'là bas' que 'ici'. Le summum de cette vision 'Shithole Country' de l'extrême orient est peut-être David Alan Adams, un ancien capitaine de la Navy qui a réussi a planter son sous-marin nucléaire, et qui affirme qu'il vaut mieux prendre le risque maintenant pour être fixé tout de suite (voir "Alert!").
- Les conseillers politiques du Président, une équipe d'extrémistes réputés pour leur incompétence crasse en matière diplomatique, semblent l'avoir persuadé qu'une frappe serait bonne pour la campagne législative de novembre prochain. Comme si la situation dans la péninsule était aussi 'simple' que celle en Syrie.
- Victor CHA, ce faucon sur le point de rejoindre Séoul comme Ambassadeur des Etats-Unis, qui avait même retweeté l'essai corrosif d'Adams en signe de bonne volonté, a visiblement fini par refuser d'aller jusqu'au bout - écarté au dernier moment par la Maison Blanche, il a écrit une tribune libre* dans le Wall Street Journal rappelant les enjeux et exposant la légèreté - pour ne pas dire l'incompétence - avec laquelle certains envisagent de telles frappes.
Pour la faire simple: il y a clairement des risques de ne rien faire, mais il y a des risques encore plus clairs de frapper, et il y a clairement d'autres options moins risquées.
Les risques de ne rien faire: Pyongyang a développé des armes nucléaires d'une part, et des missiles capables d'atteindre l'ensemble du territoire américain d'autre part. Si la combinaison des deux n'est pas déjà au point, cela n'est probablement qu'une question de mois, et cette réalité, Washington refuse de l'accepter. Mais au-delà, l'ensemble de la communauté internationale redoute une accélération de la prolifération nucléaire. Si on laisse faire la Corée du Nord, comment empêcher d'autres de s'armer? L'idée fait déjà son chemin chez les voisins du Sud comme au Japon, surtout au moment où l'Amérique de Trump cède du terrain à la Chine de Xi Jinping. Par ailleurs, étouffée par les sanctions mais experte dans les échanges illicites, Pyongyang pourrait chercher à monnayer ses technologies auprès d'organisations encore plus difficiles à contrôler et enclines à les utiliser...
Les risques de frappes préventives: frapper c'est bien joli, mais avec quelles conséquences, et quels objectifs?
- Quelles conséquences? Sachant que la guerre de Corée n'est officiellement toujours pas terminée, frapper le premier le sol nord coréen, même de façon limitée, constituerait un acte de guerre légitimant une réponse immédiate. Or sans même parler d'armes nucléaires, Pyongyang braque déjà vers le Sud des milliers de missiles conventionnels (certains munis d'armes chimiques), beaucoup plus que ne pourraient gérer les systèmes de défense combinés de Séoul et Washington. Il n'existe tout simplement aucun scénario où une frappe préventive ne provoquerait pas des dommages humains et matériels considérables, et la seule évacuation des populations américaines en prévision d'un conflit, même s'il venait à ne pas se réaliser, aurait déjà des effets destructeurs massifs sur l'ensemble de l'économie sud-coréenne.
- Quels objectifs? Supprimer KJU? Impossible à localiser, probabilité d'échec maximale. Anéantir ses capacités de lancement? Impossible à évaluer et a fortiori à garantir, d'autant que Pyongang a prouvé qu'avec ses unités mobiles, des tests pouvaient être réalisés au dernier moment depuis n'importe quel site. Si Trump décide par exemple de détruire un pas de tir juste après le prochain test, il ne réduit en rien la capacité de nuire de Kim Jong-un, mais lui offre sur un plateau l'occasion de taper, et l'escalade est inévitable. La tactique du 'bloody nose' pouvait fonctionner en Syrie, dans le cadre d'un conflit en pleine action, où Bashar el Assad même doté d'armes chimiques n'allait pas frapper les voisins en représailles. Ici, le succès de l'opération la plus chirurgicale possible reposerait sur des conditions quasi impossibles à réunir: le très improbable accord du président le plus pro-Corée du Nord de l'Histoire, MOON Jae-in, et la présence encore plus illusoire sur place de renseignements de qualité. Nous ne sommes plus dans la situation de 1994, où Kim Young-sam avait empêché Bill Clinton de détruire les installations nord-coréennes, à un moment où la capacité de nuisance du Nord était bien moindre.
- La seule intervention potentiellement légitime aux yeux de l'ONU pourrait consister à intercepter, à l'occasion d'un prochain essai, un missile à son entrée dans l'espace aérien nippon, sud-coréen, ou américain. Mais échouer affaiblirait
considérablement l'image des USA, et réussir pourrait causer d'important
dommages collatéraux. En
tout état de cause, même en cas de succès, aucune frappe ne serait de nature à freiner ou
dissuader Pyongyang, et renforcerait bien au contraire sa propagande et la priorité pour son programme de défense.
"BREAKING - au lieu de Victor Cha, Trump choisit Slim Pickens comme Ambassadeur en Corée du Sud" (20180201 - twitter.com/theseoulvillage/status/958504056309219328) |
La tension risque donc de remonter dès le 26 février, au lendemain des JO de Pyeongchang (rebaptisés ironiquement JO de Pyongyang par les critiques de MOON Jae-in au vu des concessions accordées au Nord pour obtenir leur participation).
Au-delà des provocations de KIM Jong-un, on suivra de près les éléments de contexte susceptibles de faire plonger notre Greg Stillson: pour peu que l'un de ses sbires lui suggère une diversion militaire au moment où l'enquête menée par Robert Mueller se fait trop pressante, ou dans le chaos d'un krach boursier...
Voici, tirée du film The Dead Zone (1983), la scène où le Président Greg Stillson salue son fidèle bras droit Sonny Elliman, un criminel sans scrupules, au moment de pousser le bouton. De l'autre côté de la malette, un militaire forcé** d'accepter la décision la plus incompétentément meurtrière de l'Histoire:
Toute ressemblance avec Donald Trump dans sa robe de chambre, le très extrémiste Stephen Miller, et le résigné Jim Mattis n'est pas vraiment fortuite: Stephen King a lui aussi le don de voir l'avenir.
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* "Victor Cha: Giving North Korea a ‘bloody nose’ carries a huge risk to Americans" (WSJ 20180130)
** Greg Stillson: 'Put your hand on the scanning screen, and you'll go down in history with me!'
Five Star General: 'As what? The world's greatest mass murderers?'
Greg Stillson: 'You cowardly bastard! You're not the voice of the people, I am the voice of the people! The people speak through me, not you! (...) You put your god damn hand on that scanning screen, or I'll hack it off and put it on for you!'
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Stephane