Il y a six ans, une première tour s'effondre
Ahmed Chah Massoud est tombé le 9 septembre 2001. Une première victime vite oubliée sous le choc des attaques portées deux jours plus tard au coeur de l'hyperpuissance américaine. Avec Massoud disparait l'une des plus belles promesses de paix pour l'avenir d'un pays décidément peu épargné par la folie des hommes... et déjà privé de son passé par les mêmes méthodes expéditives (dynamitage des Bouddahs de Bamyan).
Désormais, le seul moyen de déloger les Talibans d'Afghanistan sera d'avoir recours à une puissance étrangère. Oussama ben Laden choisit ses ennemis et à un Musulman modéré et respecté de tous non seulement pour son courage et son humanité, mais aussi pour l'authenticité de sa foi et de l'amour de son pays, il préfère une armée occidentale plus en phase avec l'image qu'il souhaite donner à sa croisade... avec si possible à sa tête un digne héritier des croisés médiévaux les plus fanatiques.
Le 11 septembre 2001, ben Laden lance par voie des airs une invitation au fondamentaliste chrétien récemment porté à la tête des Etats-Unis. George W. Bush répondra au-delà de ses espérances en reprenant le registre de vocabulaire des croisades (1), et en proposant d'étendre leur terrain de jeu commun à de nouveaux horizons : non seulement j'accepte le rôle du Grand Satan, mais en plus je vous aide à faire basculer le monde musulman de votre côté. Et pour optimiser les dégats, je détruis tout espoir de résolution du conflit Israëlo-Palestinien et j'ouvre un nouveau front au coeur du Moyen-Orient ; au meilleur endroit pour attiser les haînes entre Sunnites et Chiites. En échange, vous m'aiderez à faire basculer mon pays sous mon autorité et à terme vers une théocratie plus garante de la pérennité de nos idéologies respectives, vous m'aiderez à faire rayonner ces idées dans un occident qui a depuis trop longtemps oublié les vertus de l'obscurantisme.
Bush ne reculera devant rien pour parvenir à ses fins en Irak : Armes de Désinformation Massive, fabrication de fausses preuves, élimination politique de témoins génants ou à charge (Wilson)... Encore aujourd'hui, une part importante de la population américaine demeure persuadée que Saddam Hussein était impliqué dans les attentats du 11 septembre.
Certes, Dubya a dû se résoudre à donner le change à la communauté internationale en s'occupant en priorité du cas Afghan... mais son aventure en Irak syphonera bien vite la plupart des ressources initialement prévues pour le sauvetage du pays martyr, et depuis le début des hostilités jusqu'à aujourd'hui, son administration n'aura de cesse de torpiller le travail de fond sur le terrain, quitte à saboter le travail de conquête des coeurs par ses "alliés" britanniques en multipliant les bombardements abusifs (2).
"Mission accomplie" pour le président préféré des fondamentalistes US (3) : les Talibans regagnent le terrain perdu en Afghanistan comme au Pakistan, la culture de pavot atteint des sommets records, Karzaï peine à contrôler une zône de la taille d'un timbre poste... et la collection automne-hiver redonne tout son éclat à la burqa bleu ciel.
Profitant de l'apathie de ses concitoyens et des derniers mois qui lui restent à la tête d'un pays supposé démocratie modèle (4), Bush s'apprête à réaliser l'oeuvre de sa vie : le déclenchement d'une guerre embrasant l'ensemble du Moyen-Orient autour de l'Iran et d'Israël et destinée, à en croire les fondamentalistes les plus fanatiques au sein des trois principales religions monothéistes, provoquer le retour du Christ et du Mahdi.
On pourrait en rire. Comme de ces aimables farfelus oeuvrant à la diffusion en Europe des théories néo-créationnistes de l'Intelligent Design. Comme de l'absurdité et de la confondante bêtise des thèses défendues par des intégristes de tous poils.
Mais c'est de survie qu'il est question. De la démocratie et de ses défenseurs. Nous n'avons pas sauvé Massoud au coeur des montagnes afghanes, serons-nous au moins capables d'aider les Mohamed Sifaoui qui risquent leur vie au quotidien au coeur de nos villes (5) ? Au lieu de faire le jeu des fondamentalistes en bâtissant des forteresses et autres murs de démarcation, saurons-nous repenser notre village global pour supprimer les injustices qui font leur lit ?
Les années qui viennent seront décisives. Soit nous parvenons à infléchir le cours imposé par les adversaires de la démocratie en redonnant la voix et le pouvoir aux modérés, soit nous acceptons pour les décennies qui viennent le retour à un ordre médiéval.
(1) "We will rid the world of the evil-doers (...) This crusade, this war on terrorism is going to take a while" - cf conférence du 16 septembre 2001 : www.whitehouse.gov/news/releases/2001/09/20010916-2.html
(2) "British Criticize Air Attacks in Afghan Region" : http://www.nytimes.com/2007/08/09/world/asia/09casualties.html
(3) cf épisodes précédents - "En finir avec le fondamentalisme" et "Universal Declaration of Independence From Fundamentalism"
(4) ... mais pratiquant l'enlèvement illégal de citoyens non-américains sur un sol étranger (ex. dernièrement des Iraniens en Irak ; typiquement le genre d'initiatives de paix dont la région a besoin)
(5) "Ces Musulmans qui disent non à l'Islamisme" mardi dernier sur Arte
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Stephane