Lopsichose 2 - mon royaume pour un cheval de troie
MAM présentera tout début 2008 sa seconde version de la Loi d'Orientation et de Programmation pour la Sécurité Intérieure (Lopsi 2). Un volet important sera consacré à la nécessaire lutte contre la cybercriminalité et contre un crime organisé de plus en plus friand de nouvelles technologies. Dans le meilleur des mondes, la France pourrait bien se réveiller avec sa version locale du "Patriot Act" américain... dont les abus* constituent en eux-mêmes une nouvelle forme de cybercriminalité et de crime organisé. Contre le citoyen, mais bien au-delà contre la démocratie tout entière.
Nul ne peut contester la valeur potentielle des informations circulant sur le réseau pour résoudre certaines d'enquêtes criminelles, voire même pour empêcher un crime d'être commis. Le citoyen sent bien que l'explosion des technologies de l'information doit être accompagnée, qu'il est légitime d'équilibrer la balance des droits et des devoirs sur ces nouveaux media. Mais il doit rester ferme sur les conditions dans lesquelles ces réformes s'opèrent, et sur le maintien des nécessaires garde-fous. Le renforcement des contrôles doit bien comprendre le renforcement du contrôle des contrôleurs.
Et le temps presse.
Car les plombiers des futurs e-Watergate n'ont déjà plus à se déplacer pour placer leurs mouchards : il leur est possible d'activer la fonction micro d'ambiance d'un mobile à distance et à l'insu du plein gré de son propriétaire, et Lopsi 2 autoriserait même l'envoi de super spywares dans les ordinateurs ; des chevaux de troie dignes du plus vil pirate informatique ! Quant au bon vieux mouchard "hardware", il serait remis au goût du jour sous une forme de discret périphérique USB.
Que fait la police ? La question sera bien sûr posée, mais une autre brûle toutes les lèvres : la justice sera-t-elle capable de suivre ? On l'équipe de bornes interactives en même temps que l'on dote la police de commissariats virtuels, et les textes prévoient bien de donner le pouvoir suprême à la justice (Juge d'instruction ou Juge des Libertés et de la Détention), mais concrètement qui utilise quelle information et dans quelles conditions ?
Le dispositif serait limité au crime organisé, mais tout lecteur d'Astérix connait pertinement la relativité du concept de "bande". L'accord ne serait donné que dans le cadre d'affaires très graves (terrorisme, pédophilie, torture, meurtre, enlèvement...), mais où commence la torture et le terrorisme, et où s'arrête l'inventaire à la Prévert (l'aide à l'entrée et séjour d'un étranger figurerait déjà dans la liste) ?
Qu'advient-il de l'information ? Une copie de chaque donnée récoltée est-elle systématiquement sécurisée dans un espace non dépendant de l'exécutif et conservée au-delà de l'enquête, ou bien les écouteurs ont-ils la même capacité à détruire les preuves que ces agents de la CIA pour leurs séances d'interrogatoire les plus musclées ? Ce beau système est-il appelé à s'interfacer avec le réseau Echelon de la NSA** ?
On l'a vu, sous couvert de défendre la Liberté, la Justice et la Démocratie, le Patriot Act a essentiellement contribué à affaiblir ces piliers de la nation. Et sous couvert de protéger le pays de graves menaces extérieures, il a essentiellement contribué à la suppression méthodique de toutes ses défenses naturelles contre une menace intérieure bien pire encore : une Administration corrompue dirigée par un fondamentaliste rêvant de convertir la démocratie la plus puissante du monde en une théocratie belliqueuse***.
Dans notre pays, ces derniers temps, l'équilibre des pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire, media...) fait pour le moins débat. Et l'équilibre exemplaire interconfessionnel (république laïque apaisée, sentiment d'appartenance à la communauté nationale avant la communauté religieuse...) subit de plus en plus d'assauts de l'intérieur et de l'extérieur permettant au fondamentalisme (à TOUS les fondamentalismes, en particulier Islamistes et Chrétiens) de prendre pied et de s'épanouir sur une terre jusqu'ici peu perméable à sa réthorique. Enfin, l'équilibre entre "soft" et "hard power" semble basculer, avec une nette primauté au registre martial dans les paroles (cf diplomatie façon Kouchner) comme dans les actes (cf nettoyage des banlieues façon Kärcher****).
J'ose espérer que nos dirigeants n'envisagent pas eux-aussi de convertir notre belle république en une théocratie belliqueuse... mais ces faits troublants doivent nous inviter à la plus grande précaution au moment d'ouvrir le cadeau du nouvel an du Ministère de l'Intérieur.
* petit florilège ? auprès du CMD / Sourcewatch, par exemple : http://www.sourcewatch.org/index.php?title=Patriot_Act_abuses
** l'épisode des Blackberrys de l'Elysée nous rassurerait plutôt : la méfiance semble de mise
*** pour rappel sur la dérive fondamentaliste : "Universal Declaration of Independence From Fundamentalism" (20070809)
**** ce qui n'exclut pas un effort sur la parole... cf "De la voyoucratie en France" (20071204)
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Stephane